« Le rôle de l’écrivain dans nos sociétés »

Le vendredi 4 mai 2012, l’Observatoire de la Diversité Culturelle (ODC) et le webzine TerangaWeb « L’Afrique des Idées » organisaient une table ronde modérée par Lareus Gangoueus, avec Jean-Luc Raharimanana, Yahia Belaskri et Bernard Magnier sur le thème « Quel est le rôle de l’écrivain dans nos sociétés ? » Cette rencontre se déroulait à l’Auditorium du Centre culturel Jean Cocteau, aux Lilas. Une table ronde très importante sur le plan symbolique, puisqu’elle se déroulait dans la période de l’élection présidentielle française ; une élection qui s’est déroulée – comme on le sait – sur fond de polémique liée à l’identité nationale, le vote des étrangers, la laïcité…

Thibaud Willette (directeur de l’ODC) : L’Observatoire de la Diversité Culturelle est ancré en Seine-Saint-Denis depuis plusieurs années. Ce département est pour nous une place importante de métissage, de rencontres et une terre d’immigration. L’observatoire a pour vocation de réfléchir et d’agir autour de la diversité culturelle. Nous avons l’habitude d’y organiser des rencontres dans le but de faire découvrir des régions, des pays et pour montrer la diversité des cultures, qui permet des enrichissements et des ouvertures individuelles. Cet enrichissement est constitutif de toute civilisation, la civilisation étant, par nature, ouverte au dépassement des frontières. Toute civilisation se construit réellement dans l’ouverture, dans les rencontres et dans le respect des minorités.

Ce soir, nous mettons à l’honneur des écrivains francophones. Ce qui démontre bien en quoi la culture francophone est lumineuse, humaniste et, finalement, républicaine quand elle dépasse les frontières. La variété, la diversité des écrivains et des voyages, des trajectoires, des origines et des découvertes, permettent l’enrichissement de la culture francophone. C’est cette expression-là que nous souhaitons vous livrer ce soir en tant qu’Observatoire de la Diversité Culturelle.

Emmanuel Leroueil (directeur de publication à TerangaWeb) :

Je remercie l’Observatoire de la Diversité Culturelle, avec qui nous organisons cette rencontre aujourd’hui. Pour présenter rapidement l’association TerangaWeb, c’est un groupe de réflexion qui a été fondé il y a à peu près deux ans, et qui réunit des étudiants et des professionnels de différents pays africains.

Le but que nous nous sommes fixé est de réfléchir pour comprendre un peu les enjeux qui se posent aujourd’hui à l’Afrique, à travers différents prismes, que ce soit de manière politique, économique ou culturelle. C’est donc un enjeu important pour nous de se demander quelle est l’Afrique d’aujourd’hui, quels sont les défis qui se posent à elle et, surtout, comment elle peut les relever en mobilisant ses propres ressources.

Nous avons ce soir l’honneur d’accueillir trois invités de marque. Nous aurons l’occasion de les écouter nous expliquer dans quel contexte ils s’impliquent en tant qu’écrivains et éditeur. Ce sont trois personnes qui comptent et nous souhaitions profiter avec vous de leurs réflexions sur « le rôle de l’écrivain dans nos sociétés aujourd’hui ».

Lareus Gangoueus (responsable de la rubrique culture de TerangaWeb) : Bonsoir à tous et merci à l’Observatoire de la Diversité Culturelle de nous accompagner dans cette rencontre. Nous recevons aujourd’hui deux auteurs aux multiples casquettes, et un éditeur. Avant d’aborder le thème de la soirée, je vais tout de suite commencer la présentation des trois intervenants. Nous aurons un échange sur la question « quelle place et quel rôle de l’écrivain dans nos sociétés » ? Ensuite, nous allons rentrer dans le cœur du sujet avec les regards croisés des auteurs et la vision – avec plus de recul – de Bernard Magnier, en tant qu’éditeur et responsable de la collection « Lettres africaine » chez Actes Sud.

[…]

Je vais donc aborder notre sujet en demandant à nos invités ce que représente, pour eux, ce fameux « nos sociétés »dans le travail de l’écrivain. Durant les nombreux débats que nous avons eus pour la préparation de cette rencontre, nous nous sommes notamment demandés si nous devions parler d’un « espace francophone », d’un « espace africain »… Nous avons finalement préféré laisser une ouverture pour que les deux écrivains puissent, eux-mêmes, définir le public auquel ils s’adressent : est-ce vous-même ? ou bien est-ce que votre terre d’origine ?

Yahia Belaskri : Bonsoir et merci. Il me semble qu’un écrivain, lorsqu’il est face à sa feuille ou devant son ordinateur, n’écrit pas pour un acteur précis, il écrit pour lui-même. C’est un exercice personnel, solitaire, difficile, complexe. C’est du moins cela au départ. Maintenant, quand le livre devient objet, qu’il se retrouve en librairie, que les lectrices et les lecteurs s’en emparent, cela devient tout autre chose. À ce moment-là il n’appartient plus à l’écrivain, il appartient au lecteur. Pour ma part, au fur et à mesure du temps, mes textes, mes lecteurs, mes lectrices sont là, en France. « Nos sociétés », c’est la société française. Mes textes sont sortis en Algérie – à chaque fois un an plus tard – mais j’y ai très peu de lecteurs. Premièrement, parce que je n’écris pas en arabe : ce sont des textes dont les droits ont été achetés ici, ils sortent en français pour un public francophone et algérien francophone. Ce public est très restreint. Il faut savoir qu’en Algérie, quand on parle de « best-seller », cela représente quelque cinq mille exemplaires. Il faut garder une idée de ces proportions… Je n’ai pas de public, je n’ai pas de lecteurs là-bas, ou si peu […].

L. G. Il était tout de même question que vous vous rendiez à Oran pour présenter votre dernier ouvrage [ndlr : Une si longue nuit d’absence, éditions Vents d’ailleurs, 2012], qui est une déclaration d’amour à la ville. Vous avez eu la démarche de vous rendre en Algérie pour promouvoir votre travail !

Y. B. : Oui, mais c’est pour le plaisir ! Le livre était à peine sorti en France en mars il y a un peu plus d’un mois que l’Institut Français d’Oran – ma ville natale – m’avait programmé. Il s’agissait en fait d’une programmation plus ancienne de mon précédent ouvrage. Ce livre est sorti et ils l’ont annoncé. J’ai donc eu le plaisir, très singulier et très personnel, de le présenter dans ma ville natale, devant un public très restreint. C’est dans cette ville que je suis né. Que je me suis abreuvé. Et j’étais heureux, et bien plus encore ! Mais je suis revenu… Le livre n’est pas là-bas. Il faut être honnête.

L. G. Jean-Luc Raharimanana, quelle a été la réception de vos œuvres en France et à Madagascar ? L’accueil du public oriente-t-il votre manière d’écrire ?

Jean-Luc Raharimanana : Bonsoir à tout le monde. L’écrivain peut dire « bonsoir » mais pas le livre… Pour répondre à cette question, j’essaierai de faire la distinction entre l’écrivain, celui qui écrit le livre, et l’œuvre. Ce n’est pas du tout le même rôle, et ce n’est pas du tout la même portée. Je dirais que mon ambition d’écrivain est d’être dépassé par mes livres. C’est aussi d’être effacé derrière mes livres. À ce moment-là, lorsque le livre devient plus important que l’écrivain, je suis très content. Et c’est donc là mon rôle, de faire en sorte que l’œuvre que j’écris dépasse parfaitement mon objectif et que les lecteurs me renvoient ce que représente le livre pour eux, quelle autre histoire ce livre peut leur raconter. Je pense qu’à un moment donné, l’œuvre de l’écrivain a pour fonction de sublimer les choses, de sublimer le sens, de sublimer à la fois le lecteur à travers le livre et à travers les mots ; ces lecteurs, qui vont peut-être reconnaître quelque chose qu’ils n’avaient pas soupçonné. Il y a au départ du livre des portions, ou même la totalité du livre, qui vont faire écho à d’autres références, faire échos à d’autres mémoires, à d’autres imaginaires… Parce que c’est cela la force de la langue, c’est toute la force de la littérature : les mots disent toujours plus qu’on ne le croit. Et c’est là l’effort que je fais, de faire en sorte que le livre me dépasse, moi-même. À ce moment donné le livre devient une sorte de puits, où chacun va puiser quelque chose, où chacun va peut-être aussi partager quelque chose.

Sinon, et pour parler de choses plus concrètes, Bernard Magnier était à Madagascar il y a quinze jours et il peut en juger : à Madagascar, on ne me connaît pas plus que ça. Mes livres ne sont pas présents ! Mais en même temps, si moi, en tant qu’auteur, je viens à Madagascar, cela va toujours provoquer quelque chose. Même pour ceux qui ne m’ont pas lu ! Parce qu’il y a ce statut de l’écrivain qui est important, qui est symbolique, qui représente plus que ce que l’auteur veut bien croire. Et c’est là que l’auteur va, à un moment donné, se positionner, parce que l’on va mettre sur l’auteur beaucoup, beaucoup de choses. Lorsqu’on se trouve dans cette situation à Madagascar, où le pays est pauvre, où le pays a besoin de parler, et où le pays a besoin d’écrire et donc, lorsque les lecteurs ou les gens tout simplement, se retrouvent face à un écrivain, ils vous demandent de « tout dire ». De dire « toute » la réalité du pays : « Pourquoi vous n’écrivez pas sur les forêts qui brûlent ? » ; « Pourquoi vous n’écrivez pas sur telle ou telle situation politique, sociale ? » ; « Pourquoi vous n’écrivez pas sur telle ou telle histoire ? » ; « Pourquoi vous écrivez comme ça et pas comme ceci et cela ? » Mais un écrivain ne peut pas faire tout ça !

L. G. Bernard Magnier, vous qui rencontrez beaucoup d’auteurs en tant qu’éditeur, cette question du « nos sociétés », cette question du territoire auquel on s’adresse, apparaissent-elles dans vos échanges avec vos auteurs ?

Bernard Magnier : Bonsoir. J’ai tout entendu là-dessus. J’ai entendu des écrivains qui vous disent « J’écris pour moi. Je suis le premier lecteur et c’est celui-là qui compte » ; les écrivains qui vont dire « j’écris pour les autres » ; «Pour le lecteur qui voudra bien me lire » ; « J’écris pour la société » ; « J’écris pour faire bouger les choses ». On entend toutes les réponses quand on pose certaines questions ! Le statut de l’écrivain dans « les sociétés de lecture » (dans les pays africains par exemple), est un statut complexe. Il est ambigu. Il est différent. Il y a des choses très sympathiques : on a tous entendu des anecdotes comme cet écrivain auquel le chauffeur de taxi ne fait pas payer la note parce qu’il sait qu’il est écrivain ; le douanier qui demande qu’on lui signe un roman pour son fils parce qu’il a reconnu un écrivain qui est étudié dans telle ou telle classe. Ça, c’est le côté sympathique. Et puis, il y a l’autre coté, moins sympathique : c’est tous ces écrivains qui ont eu à subir les régimes politiques, qui sont passés par la prison, par l’exil, et ceux qui sont morts… Quand on travaille sur ces littératures et que l’on fait un travail biographique sur ces écrivains, on s’aperçoit qu’il y a une proportion considérable qui ne vit pas dans le pays où ils sont nés. Mais je pense que ce n’est pas uniquement par souci de tourisme ou d’intérêt d’un exotisme européen ! C’est contraint par des situations économiques, familiales, mais aussi par des contraintes sociales et politiques.

Il y a aussi l’exil. Et quand je dis « en exil » ce n’est pas uniquement un exil de l’Afrique vers l’Europe. Il y a aussi un exil interne au continent africain. On a toujours cette notion du Sud vers le Nord. Mais quand on regarde les biographies d’écrivains, on s’aperçoit que beaucoup d’entre eux ont vécu dans d’autres pays que le leur, à l’intérieur même du continent africain. Prenez le grand écrivain Ahmadou Kourouma : il a vécu fort longtemps au Togo alors qu’il était ivoirien. Curieux d’ailleurs, quelqu’un qui, d’une certaine façon, fuit un régime pour aller dans un autre qui, vu de l’extérieur, n’est pas forcément mieux !

Donc, les attentes du public que l’on évoque aujourd’hui, elles sont assez diverses, et c’est vrai que les écrivains sont sollicités par des attentes. Que ce soient des attentes du côté européen ou des attentes du côté africain. Le côté africain, c’est effectivement « Et pourquoi tu ne parles pas des drames qui sont autour de nous ? » ; « Pourquoi tu ne parles pas de ceci ou de cela ? » ; « Tu es le porte-parole » ; « Tu es « la bouche des bouches qui n’ont pas de bouche », comme disait Césaire » ; « C’est à toi de parler ».

[…]

Lire l’intégralité de la table ronde sur le portail Web de la revue Africultures (en lien).

 

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