Sans titre

En septembre dernier, j’ai participé au 10ème congrès de l’association allemande des franco-romanistes (Frankoromanistenverbands) à Sarrebruck (Allemagne). J’intervenais là-bas en tant que membre du Research & Study Centre « Dynamics of Change », dans un panel intitulé « La francophonie sans frontières ? » organisé par ma collègue Sarah Burnautzki et Susanne Gehrmann du centre africaniste de l’Université Humboldt de Berlin. Cela m’a par ailleurs ramené à ma toute première communication en 2009, à Sarrebruck également.

J’ai donc proposé une interrogation sur l’existence d’un « néocolonialisme littéraire francophone », en revenant à l’analyse d’un ouvrage de Vivan Steemers que j’avais publiée il y a quelques années lorsque j’écrivais encore pour Africultures.

Mon exposé avait pour but de soulever des questionnements sur l’existence d’un soft-power français au sein de la production littéraire africaine depuis la période des Indépendances (avec un grand I), de même que de réfléchir à notre propre représentation d’une cartographie des littératures francophones. Voici l’abstract de ma présentation :

Résumé : À l’heure de la « littérature-monde », le livre de langue française semble mieux rayonner que jamais. Il suffit d’observer la migration des Étonnants Voyageurs vers la World Alliance pour se dire que la francophonie n’est plus l’enclos qu’elle a [aurait] été. La « littérature monde en français », ce beau slogan postcolonial, a fait école, depuis Fort de France jusqu’à Brazzaville. Et les œuvres écrites en français n’ont probablement jamais été autant diffusées ou traduites.
Mais derrière un scénario, aussi beau soit-il, il y a une part de storytelling. Le livre en français dont on parle surtout, c’est le livre publié en France. La France constitue-t-elle pour autant l’essentiel de la production francophone ? Loin s’en faut. La cartographie éditoriale de ce que l’on associe à la francophonie est bien plus complexe, et est donc simplifiée à l’envie, selon le point de vue adopté.
Mais qu’en est-il donc de l’édition de langue française publiée hors de France ? À partir de la question de « frontières », cette communication proposera deux éclairages sur le monde du livre francophone : dans un premier temps, nous projetterons cette carte familière et euro-centrée de la littérature en français. Dans un second temps, nous proposerons de faire apparaitre une seconde carte moins connue – éditoriale celle-ci – de la francophonie du livre. Nous proposerons alors une interprétation de ces deux mondes du livre francophone, coexistant mais régis par des relations de force, des représentations médiatiques, voire par ce que Vivan Steemers a appelé un « néocolonialisme littéraire ».

Quelques éléments de cette communication volontairement basée sur le terme polémique de « néocolonialisme »[1] :

Lorsque l’on parle de littératures francophones, il peut s’agir de manière indistincte de toute littérature écrite en français, mais aussi des littératures n’appartenant pas à l’espace français, ou encore, pour aller plus loin, des littératures écrites dans tout pays appartenant à l’organisation internationale de la francophonie, donc pas nécessairement écrites en français. Mais pour être un peu polémique, je dirais que médiatiquement parlant les littératures francophones sont surtout françaises… C’est-à-dire que quand parle de littératures francophones, il est majoritairement question de livres d’écrivains francophones publiés en France. Paris préserve depuis les années 1950 une position centrale par rapport aux autres régions francophones.

Voici un extrait intéressant d’une interview de l’écrivain congolais Bolya Baenga par Françoise Cévaër :

Françoise Cévaër : Bolya Baenga, comment êtes-vous venu à l’écriture ?
Bolya Baenga : Je ne sais pas. J’ai toujours écrit, c’est tout. Et puis j’étais dans le quartier, j’habitais le 6e arrondissement. La question qu’il faudrait poser c’est « pourquoi vous habitiez le 6e [arrondissement de Paris] ? »
— Alors pourquoi vous habitiez le 6e ?
— Parce que je voulais venir à l’écriture.[2]

En fondant leurs réflexions sur les relations d’attraction entre centres et périphéries Vivan Steemers à l’instar d’autres chercheurs faisant autorité comme Pascale Casanova ou Gisèle Sapiro ne font pas preuve, aussi, d’un réflexe eurocentriste.

L’Afrique, dans sa diversité éditoriale, est mal connue. L’Agence littéraire française Pierre Astier-Laure Pécher réclamait dans ce sens des données plus précises sur la production éditoriale dans l’espace francophone. Mais reste également à savoir à qui serviraient ces données.

Il est vrai que l’on manque de données, pour sans doute de nombreuses raisons. Ceci dit, cela n’empêche pas des organismes professionnels de dépasser ce problème très simplement : puisqu’on n’a pas de données, il suffit de simplifier, à l’image de cette carte réalisée on ne sait trop sur quelle base :

L’Afrique est-elle vraiment si peu significative ? Quelles et où sont les données existantes ?

Pour revenir à la Francophonie éditoriale, la France y fait souvent office de partie émergée de l’iceberg, pour les médias, les publics, mais aussi les communautés de chercheurs.

Il y a une grande diversité francophone et il semble que celle-ci n’est néocoloniale que si l’on s’intéresse exclusivement à l’édition française. Il est tout aussi essentiel d’étudier les phénomènes internes qui ont mené à développer ce rapport de monopole de la France sur les corpus francophones africains, et des recherches en génétique des textes actuellement menées ouvrent – notamment – de nouvelles voies dans la compréhension des relations éditeurs français/auteurs africains.

Il ne faudrait sans doute pas trop circonscrire un propos scientifique à des géographies closes, car ce faisant, de nouvelles frontières sont dressées : entre l’édition française et l’édition africaine, entre les littératures du Maghreb et les littératures d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique Centrale, par exemple.

Enfin, il serait grand temps que la recherche francophone se penche d’avantage sur de récents travaux menés dans l’aire anglophone et apportant des éclairages importants sur les réalités économiques du livre en Afrique. Je l’avais évoqué à Cambridge quelques semaines plus tôt et l’éditeur écossais Hans Zell a d’autre part bien mieux décrit que moi l’importance d’une meilleure collaboration entre les sphères professionnelles et universitaires.

Si le monde francophone se veut réellement une communauté littéraire, il devrait alors se penser comme un réseau un peu plus égalitaire, et non pas un espace dressant de nouvelles frontières discursives, néocoloniales ou simplement exclusives.


[1] Néocolonialisme : « politique menée par certains pays visant à instituer, sous des formes nouvelles, leur domination sur les États indépendants du tiers monde autrefois colonisé. » (définition du dictionnaire Larousse)

[2] Ces écrivains d’Afrique noire – Françoise Cévaër, Nouvelles du Sud, n°29, 1998

 

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