Ces écrivains d’Afrique noire (Françoise Cévaër, 1998)

Jean-Marie Adiaffi (Côte d’Ivoire) : Je pense qu’étant donné le contexte actuel, la littérature africaine reste pour le moment une littérature de combat, une littérature que j’appellerais « chirurgicale ». Car, que l’on vive en France ou ici, on est en position…, ce que Sartre appelle en « situation force ». Celui qui est en exil, est en proie à deux contradictions fondamentales. Il est vrai qu’il bénéficie d’une plus grande liberté d’expression, et de plus de possibilités d’édition et de diffusion. Mais en en bénéficiant, du coup, il n’atteint plus son public, ou l’un des publics pour lequel il a envie d’écrire. De plus, à rester en France, il exprime une Afrique, un combat, qu’il ressuscite par son imagination, ses souvenirs, qui peu à peu s’estompent. Il voudrait exprimer un quotidien qui lui échappe pour la simple raison qu’il ne le vit pas concrètement, au jour le jour. Car la vie continue. Celui qui est libre devient donc par là-même étranger à l’univers carcéral qu’il voudrait habiter par l’écriture…

Bolya Baenga (RDC) : Je ne sais pas. Je ne le connais pas. La littérature africaine est prise en sandwich entre deux marchés : le marché occidental et le marché africain qui ne correspondent pas aux mêmes publics ni aux mêmes attentes. Il faudrait un jour choisir son public. Un Salman Rushdie a choisi son public, un public occidental, et ceci au bon moment ; c’est un super coup de marketing éditorial.

Calixthe Beyala (Cameroun) : Elle est mieux placée au Etats-Unis qu’en France. On y est plus lus, plus appréciés qu’en France. La relation colons/colonisés a fait que les Français nous ont à jamais méprisés. Il y a un mépris de l’intellectuel africain, de tout ce qui vient de l’Afrique. Pourtant on a tellement de choses à leur apprendre.

Calixthe Beyala (Cameroun) :Pas du tout. Preuve en est que le premier prix Nobel est un Nigérian. Le Français a moins accepté l’influence des autres cultures dans sa propre culture alors que c’est un pays dominateur. C’est ça le paradoxe et la mort du français même. Vous savez, le recul actuel du français est dû en partie à un refus d’enrichissement de la langue française par d’autres langues. Ce refus se traduit par ce rejet qu’ont les Français, les intellectuels français, d’autres cultures, d’autres civilisations. Il y a ce rejet, ce mépris… est-ce que c’en est un ? C’est peut-être beaucoup plus une peur. Mais toujours est-il qu’ils ne se sont pas encore aperçus qu’en essayant de nous tuer, ils se tuaient eux-mêmes. C’est leur culture qu’ils tuent, c’est leur culture qu’ils méprisent en ne s’ouvrant pas à la littérature africaine ; d’ailleurs, il n’y a pas de littérature africaine, il y en a plusieurs.

Mande Alpha Diarra (Mali) : Oui. Le public visé varie, et avec lui la création littéraire. Présence Africaine s’adressant au public africain peut éditer certains livres dont ne voudraient pas le Seuil ou Gallimard, et cela en fonction du public que vise chacun. Mais encore une fois, c’est le rêve de la plupart des auteurs africains de se voir publier par le Seuil ou Gallimard, parce que le public atteint est différent, plus vaste déjà. Cela nous amène-t-il à changer d’écriture ? Cela rejoint le problème du choix de tout auteur d’attendre l’universalité. Est-ce possible dans ne petite maison d’édition africaine comme NEA (Les Nouvelles Editions Africaines) à Dakar ? L’écriture africaine manque souvent de rigueur. Par exemple, j’ai tendance à faire des manuscrits volumineux, or, actuellement, les maisons d’édition n’en veulent pas.

Yodi Karone (Cameroun) : Idéologiquement… je ne sais pas. Il y a des maisons d’édition qui se veulent les porte-parole des sans-voix. Mais à trop publier des manuscrits déconnectés de la réalité, et surtout du public, elles risquent aussi de se retrouver sans lecteurs. L’éditeur est un promoteur dans le sens le plus noble du terme. Un promoteur de littérature, de culture. Un agent culturel. C’est un défricheur, voilà pour le rôle mythique, mais ça doit être aussi un commercial. Il a un rôle économique à jouer ; et c’est souvent là qu’il démissionne. Il doit savoir sentir les choses, tâter le pouls du public, anticiper son attente, quitte à passer des commandes de livres. Pourquoi le travail d’écriture serait-il toujours incompatible avec la notion d’argent, de rentabilité ? […] Parce que certaines choses rapportent tout de même… Prenez les manuels scolaires qui sont faits pour la plupart par les maisons d’édition françaises. La culture, ce n’est pas rentable nous dit-on ?

Guy Menga (Congo) : D’abord, ils restent souvent muets et n’interviennent que lorsque Paris se pâme devant un livre, que ce soit Le devoir de violence ou un autre. A ce moment-là, ce sont souvent des redites ; à croire que toutes les critiques qui paraissent, du Fig Mag au Monde, ont été écrites par la même personne ! Pourtant, dans cette francophonie, l’Afrique pèse son poids, les Africains sont quand même plus nombreux que tous les autres francophones ! Mais pour ce qui est de l’intérêt porté à notre littérature, cela n’apparait pas. Cette francophonie est beaucoup plus politique que culturelle pour le moment. Et puis, ce n’est pas tellement la première préoccupation de Paris : preuve en est que les Canadiens et les Belges y tiennent beaucoup plus.

Jean Baptiste Tiemele (Côte d’Ivoire) : Oui, je considère que c’est un enrichissement. Quand j’écris, je ne partage pas entre l’Afrique et la France ; je suis seulement un individu en train d’écrire. Il faut que l’on prenne le temps de lire les livres, de les assimiler, de les digérer, et d’en faire quelque chose. Une idée importée de l’extérieur peut susciter une interprétation différente en Afrique, ce qui fait que, sur place, elle est différemment ingérée. Le dialogue entre les peuples passe par ce type d’échanges. Le phénomène culturel propre à chaque pays est né du fait que l’on a pris conscience d’une différence. A cela s’ajoute une réticence devant la nouveauté et l’inconnu. Pourtant, si l’homme est mû par sa culture, la diversité des situations et des connaissances sont synonymes d’adaptation et d’évolution.

Tierno Monénembo (Guinée) : Ah ! Bon, je le suis de fait puisque je parle français. On aurait peut-être dû dire « francographe » d’ailleurs, et parler de plutôt de « francographie » ; d’accord. Mais la francophonie c’est quand même une notion très curieuse. D’abord elle a été posée par les politiques, ce n’est pas encore un phénomène culturel, ça demeure un phénomène politique, c’est-à-dire quelque chose de structuré, de financé, de géré. D’autre part, c’est un problème assez complexe. D’un côté la francophonie a des relents néo-colonisalistes évidents, des arrière-pensées politiques flagrantes. D’un côté il y a, en Afrique, une francophonie de fait indiscutable et même indispensable, le français jouant le rôle de langue de communication et d’union dans un continent divisé sur tous les plans. Il y a donc deux aspects. Oui j’écris et je parle français. Mais en même temps, je sais très bien ce que, pour l’instant, l’espace francophone signifie. Est-ce que l’intervention des créateurs eux-mêmes peut l’amener à être plutôt un centre d’échange au lieu d’être un centre de diktat ? Voilà la question qui est posée et elle n’est pas près non plus d’être résolue.

 

 

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