Une intense période de relations internationales pour le monde du livre africain…

Illustration : Little Nemo au pays de Winsor McCay, Toulouse, 1989 (USA 1908)


Par Raphaël Thierry


Si j’en fais l’inventaire, il y a depuis 2017 un nombre impressionnant de projets ayant lien avec la coopération internationale dans l’industrie du livre africain. À la faveur de ces différents agendas, le monde du livre devient-il plus petit, ou plus grand selon comment l’on voit les choses ? Il m’a pour l’instant semblé intéressant de dresser ici une petite liste, qui gagnera à être complétée et mise à jour dans le futur, au gré du développement de chacun de ces projets. Voici donc un nouveau billet de la catégorie EditAfrica « En progrès ».

En novembre 2017, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle a lancé son plan d’action « Le secteur de l’édition en Afrique et son rôle dans l’éducation et la croissance économique ».

En janvier 2018, l’Association pour le Développement de l’Education en Afrique (ADEA) l’Alliance mondiale du livre (GBA) en collaboration avec l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID) ont amorcé un plan d’action visant à « promouvoir et à mettre en place des mécanismes novateurs et efficaces dans les pays pour la production, l’acquisition, la distribution, la gestion et l’utilisation de manuels scolaires et autres matériels de lecture dans des langues nationales ».

En mars 2018, le gouvernement français a annoncé la mise en œuvre d’États généraux de l’édition en français, devenus depuis les « États généraux du livre en langue française » développés à travers différents axes jusqu’en 2020.

En avril 2018, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a inauguré auprès des Nations Unies une passerelle entre le Salon du Livre de Genève et les organisations internationales basées à Genève en organisant au Palais des Nations un évènement centré sur le livre francophone.

En avril 2018 et dans cette continuité, le Salon du livre de Genève a organisé les premières Assises du livre en Afrique, initiative prolongée en mai 2019.

En mai 2018, l’International Publishers Association (IPA) a inauguré à Lagos (Nigéria) son cycle de séminaires consacrés au développement durable de l’édition en Afrique.

En avril 2019, Sansy Kaba Diakité (organisateur de la capitale mondiale du livre 2017 et des « 72 heures du livre de Conakry ») a annoncé le projet de « Conakry capitale africaine du Livre » (Guinée), qui a reçu le soutien de l’OIF à cette occasion.

En ce mois de mai 2019, l’Alliance internationale des éditeurs indépendants lance à Abidjan ses troisièmes Assises internationales de l’édition indépendante, qui seront organisées entre 2019 et 2021 autour du thème « Repenser l’édition indépendante, célébrer la bibliodiversité ».

Cette multitude d’évènements et de programmes prennent place dans un contexte institutionnel particulier : l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable, l’Année 2019 des langues autochtones de l’Unesco, et dans la continuité des capitales mondiales du livre 2014 (Port Harcourt, Nigeria) et 2017 (Conakry, Guinée). Dans ce même contexte, des Salons du livre tels le Salon International du Livre d’Abidjan (SILA, Côte d’Ivoire), les 72 Heures Du Livre (Conakry, Guinée), la Ghana International Book Fair, gagnent à l’évidence une dimension de plus en plus importante sur le continent. A l’international, le travail de l’African Books Collective ne fait que croitre (160 maisons d’édition du continent diffusées en physique et numérique en 2019), désormais accompagné d’un développement croissant d’acteurs de la diffusion numérique (Youscribe, Streetlib, Librairie Numérique Africaine…), ou encore d’agents et projets pour le renforcement des échanges de droits d’auteurs (Agence Astier-Pécher et son projet « Talentueux Indés », Agence littéraire Interkontinental, plateforme Nakiri…).

Pour leur part, les langues africaines ne paraissent plus seulement restreintes à des évènements spécialisés ou confidentiels (étant alors confinées aux marges), à l’exemple de la Hargeysa International Book Fair, dont l’aura traverse de plus en plus les frontières du Somaliland. Le travail sur le long terme de Ngũgĩ wa Thiongʼo, les positions de Boubacar Boris Diop, l’expérience de la collection Céytu (qui a notamment traduit en Wolof le Prix Nobel de littérature JMG Le Clezio), représentent des initiatives qui imposent l’édition de langues africaines non plus comme une particularité, mais bien davantage comme une nécessité à l’intérieur du marché international du livre.

Ceci étant dit, les barrières linguistiques et géopolitiques demeurent toujours prégnantes. Le monde francophone et le monde anglophone restent par exemple encore (curieusement) séparés, de même que l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne (et sa cinquantaine de pays). Les publics de professionnels du Nord ne circulent eux-mêmes que très peu vers ces différents évènements, ce qui contribue à perpétuer le centralisme des plateformes au Nord, où l’édition africaine demeure très largement cantonnée aux marges.

Il me semble alors essentiel que cet ensemble d’agendas internationaux puissent communiquer entre eux, pour favoriser et ensuite renforcer les ponts entres ces différentes langues et régions du livre, afin de stabiliser les échanges, et les rendre –précisément– internationaux. Les marchés francophones, anglophones, arabophones, les langues africaines, de même que les autres langues de publication en Afrique (espagnol, portugais…) n’ont aucune raison autre que politique de ne pas se rencontrer au niveau international, et la traduction est un enjeu central de la rencontre des langues.

D’autre part, les évènements africains n’ont pas de raisons (autres que –éventuellement– pratiques) d’être moins attractifs que les évènements européens : pourquoi les professionnels du livre africain devraient-ils rester les seuls à consentir aux plus grands efforts de circulation et d’acheminement de leurs ouvrages et, surtout, des évènements européens sont ils véritablement représentatifs de la diversité du livre africain ?

Enfin, il me semble que les agendas politiques ne devraient pas représenter des limites aux échanges éditoriaux, car il est question ici d’un développement économique durable…  Il me parait également important de rappeler qu’il y a déjà eu par le passé des moments où l’on a observé une multiplication similaire de programmes en faveur du développement international de l’industrie du livre africain. Ces différents projets ont portés leurs fruits, mais beaucoup en a aujourd’hui été oublié, et il s’agit alors de s’interroger sur cette mémoire, de même que sur la circularité de programmes qui se renouvellent sans forcément se réinventer, quand bien même ces derniers placent aujourd’hui le développement durable au cœur de leurs objectifs.

Raphaël Thierry

 

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