L’Afrique et le déséquilibre des flux d’information entre Nord et Sud

09/04/2012 : « L’Afrique a-t-elle perdu la bataille des contenus numériques ? »

Très intéressant article d’Alain Just Coly, publié dans le 52ème numéro du magazine béninois Réseau Télécom Network. « Une quinzaine d’années après l’introduction de l’internet dans la plupart des pays africains », le journaliste s’interroge : « aujourd’hui, où en est l’Afrique avec la bataille des contenus numériques » ?

A. Just Coly apporte tout d’abord quelques éclaircissements bienvenus, en rappelant la définition qu’Olivier Sagna (directeur de l’Observatoire sur les systèmes d’information, les réseaux et les inforoutes au Sénégal) donne à l’expression « bataille des contenus ». Pour ce dernier, celle-ci consiste en un « combat pour une présence de contenus africains sur Internet, pour que l’Afrique ne soit pas uniquement consommatrice mais aussi productrice de contenus ; à savoir de l’information, bien sûr, mais aussi des connaissances, des jeux, des services et des applications – tout ce secteur dans lequel évoluent aujourd’hui les milliardaires en dollars de la société de l’information ».

Une bataille qui « n’a pas commencé avec l’avènement de l’internet. Avant l’apparition du web au début des années 1990, coup d’envoi d’une circulation sans précédent de l’information à travers le monde en termes de volume et de rapidité, le ton avait été donné au milieu des années 1970 lorsque l’Unesco, alors dirigée par le Sénégalais Ahmadou Mahtar M’Bow, engagea le combat pour un « nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) », rappelle Alain Juste Coly.

Ce projet visait alors à réduire le « déséquilibre des flux d’information entre le Nord et le Sud, entre les pays développés et les pays en développement ». La conférence tenue à Nairobi, en novembre 1976, constituera néanmoins un échec, les États-Unis et la Grande-Bretagne ayant apporté leur véto : « Y adhérer, selon leurs délégués, c’était en quelque sorte céder à la politisation d’une organisation à vocation essentiellement culturelle ».

Le développement extensif d’Internet en Afrique favorise aujourd’hui de nouvelles réflexions liées à ce « gap » d’information existant entre le Nord et le Sud. Un fossé serait peut-être en train d’être franchi, en particulier grâce aux « télécommunications par lesquelles passent, ou vont passer dans le futur, de plus en plus de contenus numériques à travers les terminaux que sont les smartphones et les tablettes ». Selon Alex Corenthin (gestionnaire du domaine national du Sénégal), « [s]’il y a un marché potentiel, le contenu va suivre. Plus il y a d’utilisateurs connectés à Internet, plus il y aura de développeurs pour mettre à leur disposition des contenus ».

L’auteur de l’article souligne que l’Afrique « enregistre aujourd’hui près de 600 millions d’abonnés à la téléphonie mobile ».

La situation semble en effet être en train de changer : « De nombreux journaux africains proposent aujourd’hui, outre leur édition imprimée, des informations en ligne. D’autres éditeurs publient leurs nouvelles exclusivement en ligne ».

Mais il reste encore du chemin à parcourir pour arriver à un équilibre des flux d’information. Comme Alain Just Coly le rappelle, « depuis que l’on parle de la bataille des contenus, les insuffisances – partie intégrante de la fracture numérique − sont loin d’être comblées en ce qui concerne les contenus qui nous viennent d’ailleurs et ceux proposés par des Africains aux Africains et au monde entier […]. Mondialement, l’Afrique ne pèse pas beaucoup dans les contenus numériques (9,6% en 2011 contre 30% dans le reste du monde) », ajoute-t-il.

Techniquement, « même les contenus relatifs à l’Afrique sont hébergés dans des bases de données européennes ou américaines, parce que, là-bas, on a pris le temps d’organiser les données, de les classer, de les mettre régulièrement à jour et de réfléchir sur un modèle économique pour les commercialiser ».

En conséquence les « Africains surfent davantage sur les sites non africains que sur les sites africains pour s’informer ou communiquer, à la différence des internautes des autres continents. La recherche se fait sur Google ou Yahoo!, les vidéos se regardent sur YouTube, le courrier électronique se pratique avec Gmail, Hotmail ou Yahoo! la recherche de savoir se fait sur Wikipédia ».

Certaines pistes ont été suggérées par Olivier Sagna : « si l’on veut peser », il faut prendre « des initiatives sous-régionales (Afrique de l’Ouest par exemple), voire régionales (Afrique), compte tenu du contexte de mondialisation. Il s’agit d’avoir des consortiums qui travaillent sur de grands projets, et non nos petites entreprises locales qui travaillent sur des projets à dimension nationale ».

« À ce stade, on peut se demander si l’idée d’une « base de données culturelles, techniques et économiques au service du développement des pays africains et de leur coopération », avancée par Léopold Sédar Senghor, ne reste pas toujours pertinente », conclue Alain Just Coly.

D’après un article d’Alain Just Coly, pour le magazine Réseau Télécom Network (Bénin).

Ce billet est également publié sur le portail Web de la revue Africultures (en lien).

 

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